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Retour sur la qualification de trésor de l’article 716 du Code civil : l’illustration d’une œuvre dissimulée sous une peinture

Pour les étudiants en

L1

Un article de David Gantschnig, Maître de conférences à l’université de Poitiers, à lire dans les Petites affiches du 29 septembre 2017 - en accès libre et gratuit via votre ENT

La qualification de trésor de l’article 716 du Code civil prévoit un régime d’attribution fondé sur l’équité : celui ayant découvert un trésor sur le fonds d’autrui en sera propriétaire pour moitié. Cette qualification est toutefois soumise à des conditions strictes, ce qu’un antiquaire va apprendre à ses dépens. Alors même qu’il a permis, par son conseil, la révélation d’une œuvre qui était cachée sous une peinture, la qualification de trésor est exclue par la Cour de cassation.

Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, no 16-19340, PB

Extrait :

La Cour :

(…)

Attendu, selon l’arrêt attaqué (CA Riom, 4 avril 2016), qu’en janvier 1985, M. X, brocanteur, a fait l’acquisition d’un tableau peint sur bois, qu’il a présenté à M. Y, antiquaire, puis, sur les conseils de ce dernier, confié à M. Z, restaurateur d’art, afin qu’il procède à son nettoyage ; que ce travail a révélé que, sous la peinture apparente, se trouvait une œuvre datant du XVe siècle attribuée, après plusieurs années de recherches et de restauration, au peintre Jean Malouel ; que, par acte du 4 novembre 2011, le musée du Louvre en a fait l’acquisition moyennant un prix de 7,8 millions d’euros ; que, soutenant que l’œuvre mise à jour constituait un trésor, au sens de l’article 716 du Code civil, et revendiquant la qualité d’inventeur, M. Y a assigné M. X pour obtenir sa condamnation à lui verser la moitié du produit net de la vente ;

Sur le premier moyen :

Attendu que M. Y fait grief à l’arrêt de rejeter sa demande, alors, selon le moyen :

1°/ que le trésor découvert sur le fonds d’autrui appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ; qu’en refusant de reconnaître la qualité d’inventeur à M. Y, pour cela qu’il s’était contenté de conseiller à M. X, au vu de quelques minuscules traces dorées, de faire nettoyer le tableau afin de vérifier ce qui pouvait se trouver éventuellement en dessous et que ce n’était pas lui qui, par sa seule intervention, avait mis à jour la peinture magnifique de Jean Malouel, quand le conseil délivré par M. Y avait été décisif dans la mise à jour de l’œuvre, dont il avait déclenché le processus, en sorte qu’il en était l’inventeur, la cour d’appel a violé l’article 716 du Code civil ;

2°/ que le trésor découvert sur le fonds d’autrui appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ; qu’en refusant de reconnaître la qualité d’inventeur à M. Y, pour cela que ce n’était pas lui qui, par l’effet du pur hasard, avait mis à jour la peinture magnifique de Jean Malouel, quand il ressortait de ses propres constatations que M. Y avait, à l’occasion d’une visite chez M. X, repéré des éclats de dorure sous une écaillure ce qui l’avait amené à conseiller un nettoyage, ce dont il se déduisait que c’était bien par pur hasard que M. Y avait découvert le trésor caché sous le repeint, la cour d’appel a violé l’article 716 du Code civil ;

Mais attendu qu’aux termes de l’article 716, alinéa 2, du Code civil, le trésor est toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété, et qui est découverte par le pur effet du hasard ; que seules peuvent recevoir cette qualification les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées et, comme telles, susceptibles d’appropriation ; que l’arrêt relève que M. X a acquis la propriété du tableau peint sur bois litigieux et que l’œuvre attribuée à Jean Malouel était dissimulée sous la peinture visible ; qu’il en résulte que cette œuvre est indissociable de son support matériel, dont la propriété au profit de M. X est établie, de sorte qu’elle ne constitue pas un trésor au sens du texte précité ; que, par ce motif de pur droit, suggéré par la défense et substitué à ceux critiqués, la décision déférée se trouve légalement justifiée ;

Sur les deuxième et troisième moyens, ci-après annexés :

Attendu que ces moyens ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

Par ces motifs :

Rejette le pourvoi ;

(…)

Cass. 1re civ., 5 juill. 2017, no 16-19340, PB

Les affaires concernant les trésors ne sont pas très nombreuses mais sont souvent marquantes. Difficile d’oublier ces affaires où, lors de la vente d’une cuisinière à gaz, les parties avaient trouvé dans celle-ci des lingots d’or1, ou encore lorsque des membres de l’association Emmaüs, qui étaient chargés de débarrasser le mobilier d’un immeuble, avaient découvert au grenier sous une baignoire 500 pièces d’or et d’argent2. Dans ces situations, la question de savoir qui est propriétaire des objets retrouvés est bien sûr cruciale, ce qui suppose de s’interroger sur la qualification de trésor de l’article 716 du Code civil.

Tel était aussi le cas dans une affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 5 juillet 2017, promis à une publication au Bulletin.

Un brocanteur fait l’acquisition d’un tableau peint sur bois qu’il présente par la suite à un antiquaire. Celui-ci remarque des éclats de dorure et conseille au brocanteur un nettoyage. Le tableau est ainsi confié à un restaurateur qui révèle par son travail que sous la peinture apparente se trouvait une œuvre datant du XVe siècle. On ne peut qu’imaginer la joie du brocanteur lorsque après plusieurs années de recherche, l’œuvre est finalement attribuée au peintre Jean Malouel. En 2011 en effet, le musée du Louvre fait l’acquisition de cette œuvre nommée le Christ de pitié pour un prix de 7,8 millions d’euros.

L’antiquaire, pour son conseil qu’il estime à l’origine de la découverte, ainsi que le restaurateur, soutenant avoir révélé l’œuvre, font valoir notamment qu’ils sont inventeurs du trésor en application de l’article 716 du Code civil pour obtenir une récompense.

La cour d’appel de Riom3 considère qu’il s’agit bien d’un trésor au sens de l’article 716 mais rejette la qualité d’inventeur aussi bien de l’antiquaire que du restaurateur. Ce dernier ne saurait être inventeur puisque l’œuvre a été révélée dans le cadre d’une commande professionnelle tendant à cette fin. Il ne s’agissait donc pas d’une découverte « par le pur effet du hasard »4, ce qui devait exclure la qualité d’inventeur du restaurateur. Quant à l’antiquaire, il ne pouvait avoir découvert le trésor puisque « ce n’est pas lui en toute hypothèse qui par sa seule intervention et l’effet du pur hasard a mis à jour la peinture magnifique de Jean Malouel ».

La qualification de trésor étant retenue par la cour d’appel, l’antiquaire fait notamment5 valoir devant la Cour de cassation qu’il est bien l’inventeur de ce trésor, son conseil ayant été décisif dans la découverte de l’œuvre dissimulée6.

La Cour de cassation n’aura finalement guère besoin de répondre à cet argument. Elle estime que l’œuvre dissimulée ne saurait être un trésor au sens de l’article 716 du Code civil puisqu’elle est en réalité la propriété du brocanteur. La qualification de trésor étant rejetée, il ne lui est plus nécessaire de se demander qui en est l’inventeur. Le pourvoi est donc rejeté grâce à une substitution de motif.

Cet arrêt présente l’intérêt de porter sur la qualification de trésor dont les conditions et le régime d’attribution fondé sur l’équité7 suscitent de nombreuses interrogations. Pour en rendre compte, c’est d’abord l’enjeu de la qualification de trésor qui sera présenté (I). La volonté de l’antiquaire d’obtenir la qualité d’inventeur se comprend fort bien puisque celle-ci lui aurait permis de devenir propriétaire de la moitié du trésor. Le rejet de la qualification de trésor par la Cour de cassation annihile toutefois son meilleur espoir d’obtenir une récompense (II).

I – L’enjeu d’une qualification de trésor

« La propriété d’un trésor appartient à celui qui le trouve dans son propre fonds ; si le trésor est trouvé dans le fonds d’autrui, il appartient pour moitié à celui qui l’a découvert, et pour l’autre moitié au propriétaire du fonds ». L’alinéa 1er de l’article 716 du Code civil pouvait ainsi conduire à attribuer la moitié du trésor à l’antiquaire. En effet, le terme de fonds doit ici s’entendre comme contenant, qu’il s’agisse d’un contenant immobilier ou mobilier8. L’antiquaire ne pouvait donc prétendre au mieux qu’à la moitié du trésor puisque le brocanteur est propriétaire du contenant, c’est-à-dire le cadre de bois et la peinture apparente. Encore fallait-il que l’antiquaire soit bien l’inventeur du trésor. Parce que la qualité d’inventeur suppose une découverte par le pur effet du hasard (A), l’appréciation de ses éléments caractéristiques s’en trouve particulièrement malaisée (B).

A – La qualité d’inventeur subordonnée à une découverte par le pur effet du hasard

Bien que les justifications des règles posées par l’article 716 du Code civil soient discutées9, il est possible d’avancer que si l’inventeur peut recevoir la moitié du trésor, c’est parce que sans lui, la chose n’aurait peut-être jamais été découverte. Il s’agit donc de récompenser « une intervention décisive, bien que purement chanceuse »10, puisque le trésor doit être trouvé par hasard.

La cour d’appel, tout en retenant la qualification de trésor, avait refusé de considérer l’antiquaire comme l’inventeur puisqu’il s’était contenté de délivrer un conseil sans mettre à jour, « par sa seule intervention et l’effet du pur hasard », la peinture de Jean Malouel. À s’en tenir à la lettre de l’article 716 du Code civil, l’argumentation de la cour d’appel pouvait surprendre. Alors que la découverte par le pur effet du hasard est présentée par le texte comme une condition de la qualification de trésor, la Cour n’apprécie nullement cette condition au stade de la qualification mais seulement lorsqu’il s’agit de déterminer l’inventeur. Se rattachant ainsi à certains auteurs11, la cour d’appel estime que cette condition « n’est pas un élément constitutif de la notion de trésor mais seulement une condition d’attribution du trésor à celui qui le découvre sur le fonds d’autrui ». Bien que cette approche semble contraire à la lettre du texte, elle n’engendre pas une solution particulière12 et peut se justifier. Pour vérifier si la découverte a eu lieu par le pur effet du hasard, il semble nécessaire de sonder la psychologie de l’auteur de la découverte. Dès lors, l’appréciation de cette condition impliquerait au préalable d’avoir déterminé qui est l’inventeur, c’est-à-dire d’anticiper sur le régime d’attribution du trésor. N’est-il alors pas plus simple de considérer que cette condition du hasard n’est pas une condition de la qualification de trésor mais de la qualité d’inventeur ?

La justification de cette condition va d’ailleurs plutôt en ce sens. Il s’agit de « décourager par avance les chercheurs de trésor qui n’hésiteraient pas à porter atteinte à la propriété d’autrui pour satisfaire leur désir »13. Le cas échéant, « celui qui, pour découvrir un trésor, se livre à des fouilles (…) sur le fonds d’autrui, contre le gré du propriétaire du fonds ou du moins à son insu, est privé de tout droit sur les biens découverts ; ceux-ci étant attribués intégralement au propriétaire du fonds »14. La condition n’a donc d’intérêt que lorsque la chose est découverte suite à des fouilles sur le fonds d’autrui, pour éviter que celui découvrant un trésor sans l’accord du propriétaire ne puisse prétendre à la moitié de celui-ci. Il n’était donc pas indispensable d’exiger cette condition au stade de la qualification de trésor puisqu’il s’agissait simplement d’influer sur le régime d’attribution du trésor.

D’ailleurs, puisque cette condition n’a d’intérêt que lorsque la chose est découverte sur le fonds d’autrui, il est bien inutile d’exiger que celui qui trouve un trésor sur son propre fonds l’ait trouvé par hasard15.

C’est donc seulement lorsque le trésor est découvert sur le fonds d’autrui que la qualité d’inventeur suppose un élément matériel (la découverte) et un élément psychologique (par le pur effet du hasard), la caractérisation de chacun de ces éléments n’étant pas sans poser des difficultés.

B – L’appréciation malaisée des caractéristiques de la qualité d’inventeur

Pour ce qui est de l’élément matériel, il faut avoir à l’esprit que « l’inventeur du trésor par exemple est la personne dont le geste l’aura mis à jour »16, « celui qui, le premier, l’a rendu visible et non celui qui l’a appréhendé ou vu »17. La Cour de cassation a eu l’occasion de préciser que « l’inventeur d’un trésor s’entend de celui qui, par le seul effet du hasard, met le trésor à découvert, serait-il au service d’une entreprise, dès lors que les travaux ayant conduit à la découverte n’ont pas été effectués à cette fin »18. A contrario, cela veut bien dire que l’ouvrier mettant le trésor à découvert en accomplissant des travaux ayant pour but la révélation d’un trésor ne peut prétendre à la qualité d’inventeur, ne serait-ce que parce qu’alors, la découverte n’est pas due au hasard.

La qualité d’inventeur suppose aussi que la découverte résulte du pur effet du hasard. Cette condition, parfois jugée peu pertinente19, est effectivement susceptible de plusieurs interprétations. Faut-il qu’aucun trésor ne soit recherché par l’inventeur ou seulement que la chose découverte n’ait pas été précisément recherchée20 ? Encore plus souplement, suffit-il que la chose soit découverte par l’inventeur alors qu’il « n’avait aucune certitude quant à sa localisation exacte »21 ? C’est ce que proposait le doyen Cornu qui entendait neutraliser cette condition « en la disant toujours accomplie, à l’idée que c’est un hasard irréductible qui fait trouver le trésor que l’on cherche »22. Pourtant, la formule « par le pur effet du hasard » semble impliquer une absence totale de recherche de tout trésor et non l’existence d’un simple aléa relatif à la présence de la chose recherchée. De plus, si l’on admet que cette condition a pour but de « décourager par avance les chercheurs de trésor qui n’hésiteraient pas à porter atteinte à la propriété d’autrui pour satisfaire leur désir »23, la neutraliser revient à ne plus protéger le propriétaire du fonds sur lequel des fouilles non autorisées ont eu lieu. Il semble pourtant opportun que celui qui se livre sans autorisation à des recherches sur le fonds d’autrui ne puisse faire valoir aucun droit sur le trésor24. Pourquoi bénéficierait-il de l’émolument de sa recherche alors que celle-ci n’était pas légitime ? Il convient donc de s’en tenir à la formule employée par le texte.

Ceci étant dit, qui de l’antiquaire, du restaurateur ou du brocanteur pouvait recevoir la qualité d’inventeur ?

Certainement pas le restaurateur puisque s’il semblait effectivement avoir mis le trésor à découvert, il ne l’avait fait qu’à la demande du brocanteur qui cherchait justement à découvrir une éventuelle œuvre dissimulée. Le restaurateur, exécutant le travail commandé, n’a donc pas découvert l’œuvre par hasard. Cette condition d’une découverte par le pur effet du hasard apparaît ici comme parfaitement justifiée. Il n’y a aucune raison de rétribuer la chance d’un restaurateur qui avait simplement exécuté le travail pour lequel il était rémunéré, précisément parce que ce n’était pas sa chance mais la volonté du brocanteur qui était à l’origine de la découverte.

Cette volonté de déterminer s’il existait une œuvre sous la peinture apparente paraît justement ne résulter que du conseil de l’antiquaire. Ce dernier avait-il mis le trésor à découvert ? Une réponse négative semble s’imposer en raison d’une vision matérialiste de la découverte. L’antiquaire qui s’est contenté de donner un conseil, si lourd de conséquence soit-il, n’a pas par son geste mis à jour l’œuvre et ne l’a pas non plus rendue visible. C’est avant tout ici l’élément matériel de la qualité d’inventeur qui fait défaut. C’est ce que disait la cour d’appel en précisant « que ce n’est pas lui en toute hypothèse qui par sa seule intervention et l’effet du pur hasard a mis à jour la peinture magnifique de Jean Malouel ».

Fallait-il donc estimer que le brocanteur était l’inventeur ? À son encontre, il n’était pas nécessaire de vérifier que la découverte résulte du pur effet du hasard et parce que le brocanteur avait fait procéder au nettoyage du tableau, il était possible de considérer que c’était bien lui, par le truchement du restaurateur sous ses ordres, qui avait permis la révélation de l’œuvre. Le brocanteur devait ainsi être considéré par les juges du fonds comme l’unique propriétaire de celle-ci.

La Cour de cassation parviendra exactement au même résultat mais sans cette fois que la qualification de trésor ne soit retenue.

 

II – Le rejet de la qualification de trésor

Pour rejeter la qualification de trésor et ainsi dénier à l’antiquaire tout droit sur l’œuvre révélée, la Cour de cassation estime que l’œuvre appartient au brocanteur (A). On peut alors regretter qu’aucune contrepartie ne soit accordée à celui qui en a pourtant permis la révélation (B).

A – L’appropriation de l’œuvre exclusive de la qualification de trésor

Le point de savoir s’il existe d’autres conditions à celles explicitement prévues par l’article 716 du Code civil est discuté. Il faut tout d’abord douter de la nécessité que la chose découverte soit ancienne ou même précieuse25 puisque cela soulèverait de nouvelles difficultés : « comment en effet fixer la date ou la valeur en deçà ou au-delà de laquelle une chose deviendrait un trésor ? »26. Quand bien même ces caractères seraient essentiels à la qualification de trésor27, il n’y a aucune difficulté pour une œuvre du XVe siècle d’une valeur de 7,8 millions d’euros.

Il faut ensuite douter de l’exigence d’une autorisation au moins implicite du propriétaire du fonds de se trouver sur le fonds ou d’y faire des travaux. La condition d’une découverte par le pur effet du hasard permet déjà de protéger le propriétaire du fonds dans l’hypothèse de fouilles non autorisées. Aller encore plus loin avec l’exigence systématique d’une autorisation même lorsque la découverte résulte du hasard remettrait en cause l’équilibre initial trouvé par les rédacteurs du texte. Quoi qu’il en soit, aussi bien l’antiquaire que le restaurateur agissaient à la demande du brocanteur.

Il a enfin été soutenu que le trésor doit avoir « été volontairement dissimulé par un propriétaire originaire dont on ignore l’identité lors de sa découverte »28. Si cette condition est parfois critiquée en ce qu’elle serait bien souvent divinatoire29, elle n’en demeure pas moins utile30 afin de déterminer si la chose est un trésor ou une épave31. En l’espèce, le fait que l’œuvre ait été dissimulée sous une autre peinture témoigne à l’évidence d’une volonté de cacher cette œuvre.

La Cour de cassation n’a pas eu besoin d’envisager ces conditions discutées pour rejeter la qualification de trésor. Le trésor consiste en « toute chose cachée ou enfouie sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété »32. Le terme « chose » étant habituellement distingué de celui de bien par l’absence d’un rapport d’appropriation, l’emploi de ce terme va de pair avec la condition selon laquelle « personne ne peut justifier sa propriété » sur le trésor. L’œuvre de Jean Malouel, prise en tant que telle33, était bien cachée sous une autre peinture. La Cour de cassation précise que les trésors sont des « choses corporelles », ce qui est cohérent avec la conception très matérialiste de la découverte. Mais elle n’évoque pas qu’il doit s’agir d’une chose mobilière comme cela est globalement admis34. En effet, « dès l’instant que la chose est juridiquement un immeuble, elle appartient sans discussion possible au propriétaire de l’immeuble lui-même puisqu’elle ne s’en différencie pas »35. L’immeuble trouvé ne se distinguant pas, au moment de sa découverte, de l’immeuble qui le contient, il ne peut s’agir que d’un seul et même immeuble dont l’appropriation, semble-t-il inévitable36, exclut toute qualification de trésor. L’exigence d’une chose mobilière s’explique donc par la condition selon laquelle le trésor est une chose « sur laquelle personne ne peut justifier sa propriété ».

Ce qui vaut ici pour les immeubles vaut pareillement pour les meubles. « Le trésor est toute chose mobilière enfouie volontairement ou non dont la nature particulière l’individualise et la distingue du fonds dans laquelle elle se trouve »37. Nécessairement, « le trésor est distinct de son contenant »38, il « a une existence distincte du sol où il repose, il y conserve son autonomie »39 sans quoi il ne ferait qu’un avec un bien immobilier, ce qui exclurait qu’il s’agisse d’une chose. C’est ce que rappelle la Cour de cassation dans notre arrêt en précisant que seules « les choses corporelles matériellement dissociables du fonds dans lequel elles ont été trouvées » peuvent constituer des trésors. Si la question de la dissociation de l’œuvre d’avec un immeuble ne se posait guère ici, elle se posait en revanche à propos du support physique de l’œuvre qui était un cadre en bois appartenant au brocanteur. En effet, admettre que l’œuvre est indissociable de son support physique revient à estimer que l’œuvre et son support ne sont qu’un, soit un bien appartenant au brocanteur. Tel a été précisément le raisonnement de la Cour de cassation, l’œuvre étant considérée comme indissociable de son support matériel.

C’est donc semble-t-il pour la même raison que les immeubles et l’œuvre de Jean Malouel ne peuvent pas être des trésors. Ne pouvant être distingués d’un bien, ils ne font qu’un avec ce bien, ce qui exclut par là même la condition de l’absence de propriétaire inhérente à la qualification de trésor.

Ce point opposait frontalement la cour d’appel de Riom et la Cour de cassation. Les juges du fond avaient retenu la qualification de trésor en estimant qu’au jour de l’acquisition du tableau, tout ce que le brocanteur avait acheté était « un tableau religieux sans caractéristiques particulières ni valeur éminente ». Il est vrai que ce n’est pas l’œuvre de Jean Malouel qui est achetée dans le sens où elle n’est pas mentionnée dans le contrat de vente et que ni le vendeur ni l’acquéreur n’ont conscience de l’existence de l’œuvre. Mais parce que l’œuvre est inséparable de son support physique et ne fait qu’un avec ce dernier, elle n’a pu qu’être transmise au brocanteur lorsqu’il a acheté le tableau. En réalité, depuis le jour de l’acquisition, le brocanteur était propriétaire de l’œuvre sans le savoir. La découverte de l’œuvre n’accroît d’ailleurs pas l’objet de sa propriété mais lui en révèle simplement l’étendue initiale.

B – Le rejet de la qualification de trésor exclusif de toute rétribution pour l’antiquaire

La cassation est toutefois évitée grâce à la substitution de motif, le rejet de la qualification de trésor ayant les mêmes conséquences que le rejet de la qualité d’inventeur de l’antiquaire, à savoir l’absence de tout droit de l’antiquaire sur l’œuvre de Jean Malouel. Le rejet de la qualification de trésor a donc supprimé ce qui est apparu comme le meilleur espoir de récompense de l’antiquaire, la Cour de cassation estimant que les autres moyens du pourvoi n’étaient manifestement pas de nature à entraîner la cassation. On peut toutefois se demander si l’un d’eux, qui consistait à invoquer les usages de la profession, n’aurait pas mérité plus d’attention. Selon la cour d’appel en effet, ces usages ne seraient pas clairement établis puisqu’à partir des diverses attestations fournies, celui qui donne des conseils pertinents permettant la découverte d’une œuvre d’art aurait droit à un certain pourcentage de la valeur de cette œuvre mais sans que ce pourcentage ne soit suffisamment précisé. S’il est vrai que ces pourcentages40 variaient d’une attestation à l’autre, elles avaient toutes en commun un pourcentage de 10 % minimum ou approximatif. De là, il semblait donc qu’en réalité, ces usages étaient bien établis au moins pour ce qui est d’un pourcentage de 10 % de la valeur de l’œuvre. En outre, les juges du fond estiment que l’aide déterminante ou pertinente de l’antiquaire n’a pas été suffisamment caractérisée. Mais si le conseil de l’antiquaire ne pouvait vraisemblablement pas permettre de recevoir la qualité d’inventeur, il n’en reste pas moins que c’est grâce à ce conseil que le brocanteur a pu découvrir l’œuvre dissimulée.

La qualification de trésor, par le régime d’attribution qu’elle propose, poursuit sans doute un objectif d’équité qui n’est pas nécessairement atteint en l’espèce. On peut dès lors regretter que la Cour de cassation n’ait laissé aucune chance aux usages de la profession d’y parvenir.

 


NOTES DE BAS DE PAGE

1 – Cass. 1re civ., 19 nov. 2002, n° 00-22471 : Bull. civ. I, n° 279.
2 – TGI Sarreguemines, 13 mars 2001, note Béguin A., « Bagarre de chiffonniers autour d’un trésor », LPA 17 oct. 2001, p. 14 ; v. aussi : TGI Le Mans, 7 sept. 1999, note Béguin A., « La qualification de trésor appliquée à une découverte archéologique (à propos de l’affaire dite du “trésor du Mans” », LPA 3 août 2000, p. 26.
3 – CA Riom, 4 avr. 2016, n° 15/00081.
4 – Circonstance exigée par l’article 716 du Code civil.
5 – Il y avait également deux autres moyens, l’un basé sur la gestion d’affaires, l’autre sur les usages de la profession, mais la Cour de cassation estime qu’ils ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
6 – Il ajoute que c’était bien par pur hasard qu’il avait découvert l’œuvre.
7 – Zénati-Castaing F. et Revet T., Les biens, 3e éd., 2008, PUF, n° 20.
8 – Ibid, n° 18.
9 – Berchon P., Rép. Civ. Dalloz, « trésor », 2009, n° 44.
10 – Zénati-Castaing F. et Revet T., op. cit., loc. cit. Drapier S., « Les trésors cachés de l’article 716 du Code civil (pour l’exhumation des droits de l’inventeur) », RRJ 2003-1, p. 209-240, n° 13 : « la chance de l’inventeur étant ici rétribuée tel un bienfait de la loi ».
11 – « Pour les auteurs, cette exigence n’est qu’une circonstance extrinsèque qui ne modifie pas la nature objective de la chose et qui n’intervient que pour son attribution », Saujot C., JCl. Civil Code, Art. 716, fasc. unique : « Modes d’acquisition de la propriété. Trésor », 2017, n° 14.
12 – Qu’il n’y ait pas trésor faute de découverte par hasard, ou qu’il y ait trésor dont l’antiquaire ne peut être inventeur faute d’une découverte par hasard, l’antiquaire n’aura dans les deux cas droit à rien.
13 – Berchon P., op. cit., n° 72 ; dans le même sens, Drapier S., op. cit., n° 32 ; Saujot S., op. cit., loc. cit.
14 – Berchon P., op. cit., n° 72.
15 – Cette interprétation ne serait d’ailleurs pas contraire à la lettre de l’article 716 qui évoque d’abord celui qui trouve un trésor sur son propre fonds pour ensuite évoquer ce qui découvre sur le fonds d’autrui. La différence des termes employés ne s’oppose donc pas à ce que les deux situations suivent un régime distinct.
16 – Galloux J.-C., « Du droit de l’inventeur sur ses découvertes : à la recherche d’un droit fabuleux », RRJ 1991-1, p. 387-418, n° 18.
17 – Drapier S., op. cit., n° 3, citant Saint-Alary R., Rép. Civ. Dalloz, « trésor », 1976, n° 43.
18 – Cass. crim., 20 nov. 1990, n° 89-80529 : Bull. crim., n° 395 ; RTD civ. 1991, p. 765, obs. Zenati F.
19 – Béguin A., « Bagarre de chiffonniers autour d’un trésor », op. cit.
20 – En ce sens, CA Bourges, 18 janv. 1989 : Juris-Data, n° 041521.
21 – Drapier S., op. cit., n° 28.
22 – Cornu  G., Droit civil. Les biens, 13e éd., 2007, Montchrestien, n° 127.
23 – Berchon P., op. cit., n° 72 ; dans le même sens, Drapier S., op. cit., n° 32 ; Saujot C., op. cit., n° 14.
24 – En revanche, celui qui trouverait un trésor sur le fonds d’autrui sans autorisation mais par hasard pourrait mériter la moitié du trésor. C’est le cas du promeneur qui, s’aventurant sur un terrain non clôturé, découvre par hasard un trésor. Le priver de toute rétribution pourrait d’ailleurs le conduire, alors qu’il est au moment de la découverte d’une relative bonne foi, à ne pas informer le propriétaire de sa découverte…
25 – Un pot peut ainsi constituer un trésor, peu important son contenu, CA Rennes, 9 janv. 1951 : D. 1951, p. 443.
26 – Saujot C., op. cit., n° 3.
27 – En ce sens, Drapier S., op. cit., n° 20.
28 – Dross W., Droit civil. Les choses, 2012, LGDJ, n° 267.
29 – Drapier S., op. cit., n° 11.
30 – CA Rouen, 30 juin 1949 : JCP G 1949, II, 5211 – TGI Le Mans, 7 sept. 1999, note Béguin A., « La qualification de trésor appliquée à une découverte archéologique (à propos de l’affaire dite du “trésor du Mans” », op. cit.
31 – V. C. civ., art. 717. Alors que le trésor est une chose cachée ou enfouie, « l’épave est une chose perdue » : Drapier S., op. cit., n° 10.
32 – C. civ., art. 716.
33 – V. toutefois Bosc L., « Cachez ce trésor que je ne saurais voir : une œuvre de Jean Malouel devant la Cour de cassation », Lexbase Hebdo, éd. privée, n° 708, 27 juill. 2017 : « si l’œuvre était indissociable de son support, alors le caractère caché de l’œuvre en devenait lui-même contestable puisque indissociable d’un support qui n’était caché en rien ».
34 – V. par ex. l’article 568 de la proposition de réforme du livre II du Code civil relatif aux biens, (Association Henri Capitant, dir. Périnet-Marquet H.) qui prévoit qu’« est un trésor tout meuble caché ou enfoui ». Contra Drapier S., op. cit., n° 14.
35 – Dross W., op. cit., n° 267-2.
36 – V. C. civ., art. 713.
37 – Galloux J.-C., op. cit., n° 22.
38 – Terré F. et Simler P., Droit civil. Les biens, 9e éd., 2014, Dalloz, n° 419.
39 – Saujot C., op. cit., n° 20.
40 – Le plus souvent une fourchette.

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