L’indemnisation du licenciement irrégulier et/ou injustifié : preuve ou présomption de préjudice ?
Pour les étudiants en
Un article de Véronique Cohen-Donsimoni - maître de conférences à l'université d'Aix-Marseille - à lire dans la Gazette du Palais du 12 décembre 2017 (en accès libre via votre ENT)
S’il appartient aux juges du fond d’apprécier l’existence et l’étendue d’un préjudice résultant du non-respect de la procédure de licenciement, il résulte de l’article L. 1235-5 du Code du travail que la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue.
Bien que rendu à propos de l’article L. 1235-5 du Code du travail dans sa version antérieure à l’entrée en vigueur de l’ordonnance Macron n° 2017-1387 du 22 septembre 20171, l’arrêt de la chambre sociale du 13 septembre 20172 apporte une précision importante sur le rôle du juge dans la détermination du préjudice du salarié à la suite d’un licenciement. Les solutions adoptées permettent également d’augurer des règles applicables au nouveau régime d’indemnisation des licenciements des salariés ayant une faible ancienneté.
En l’espèce, engagé en qualité d’aide jardinier par contrat à durée déterminée, le salarié avait saisi la juridiction prud’homale afin d’obtenir la requalification de son contrat en CDI et le paiement d’indemnités pour licenciement irrégulier et injustifié3. La requalification fut prononcée mais l’intéressé fut débouté de ses demandes au motif qu’il ne rapportait pas la preuve des préjudices subis. L’arrêt de la cour d’appel de Chambéry est partiellement cassé. Sur la demande d’indemnisation du licenciement irrégulier, la chambre sociale confirme la décision et la preuve nécessaire du préjudice (I) ; s’agissant de l’indemnisation du licenciement injustifié, elle censure l’analyse et retient une présomption de préjudice (II).
I – L’indemnisation du licenciement irrégulier : la preuve nécessaire du préjudice
Le salarié réclamait le paiement de l’indemnité maximum d’un mois prévue en cas de licenciement irrégulier4. La cour d’appel avait rejeté sa demande au motif que le salarié n’établissait pas avoir subi un préjudice résultant de l’inobservation des règles procédurales du licenciement. La décision est confirmée sur ce point par la Cour de cassation qui rappelle que « l’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond ».
La chambre sociale confirme ici l’abandon de sa jurisprudence relative au préjudice automatique (ou nécessaire) déduit de la faute de l’employeur. Initié dans un arrêt concernant l’absence de remise ou la remise tardive de documents5, le revirement opéré impose désormais au salarié de rapporter la preuve de l’existence de son préjudice. Exit le caractère punitif de l’indemnisation. Le manquement de l’employeur à ses obligations ne justifie plus nécessairement l’existence d’un préjudice. Cette règle, qui a été ultérieurement étendue à d’autres situations6, s’applique également à l’indemnisation du licenciement irrégulier7.
Bien que l’arrêt ait été rendu au visa de feu l’article L. 1235-5 du Code du travail, la solution demeure applicable aux licenciements prononcés après le 23 septembre 20178 . Le nouvel article L. 1235-2 du Code du travail prévoit désormais, quelles que soient la taille de l’entreprise et l’ancienneté du salarié licencié, une indemnité maximum d’un mois de salaire en cas d’irrégularité9. Mais aucun plancher sous-jacent l’idée d’une fonction punitive attachée à cette indemnité n’est envisagé. Dès lors, le juge demeure souverain pour apprécier l’étendue du préjudice et accorder une réparation10 ; il appartiendra au salarié de démontrer l’existence de son préjudice et, en ce domaine, la preuve est libre.
Si d’aucuns peuvent regretter l’abandon de la jurisprudence du préjudice nécessaire et y voir un affaiblissement de la fonction protectrice du droit du travail ou un risque d’impunité pour l’employeur11, il convient cependant de souligner la cohérence de la solution adoptée par la chambre sociale avec les nouvelles dispositions du Code du travail. S’agissant des règles procédurales, la réforme démontre à l’évidence la volonté de rompre avec la logique punitive. Le caractère artificiel de la qualification de « préjudice nécessaire » a d’ailleurs été avancé pour justifier l’abandon de cette jurisprudence12.
En revanche, la notion de préjudice nécessaire pourrait resurgir dans l’hypothèse où un texte en consacrerait clairement le principe ; le caractère automatique de l’indemnité prévue lui conférerait alors une base légale. On peut suggérer cette approche comme clé d’interprétation de la solution adoptée par la chambre sociale à propos de l’indemnisation du licenciement abusif13.
II – L’indemnisation du licenciement injustifié : le retour du préjudice nécessaire
Pour rejeter la demande d’indemnité pour licenciement abusif, la cour d’appel avait retenu que le salarié avait « toujours su qu’il était embauché pour l’été », qu’il ne contestait pas que son contrat était « allé au terme convenu » et qu’il ne justifiait d’aucun préjudice. Logiquement, les juges entérinaient l’abandon de la jurisprudence du préjudice nécessaire en l’étendant à l’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Leur décision est pourtant censurée par la Cour de cassation qui affirme, au visa de l’article L. 1235-5 du Code du travail, que « la perte injustifiée de son emploi par le salarié lui cause un préjudice dont il appartient au juge d’apprécier l’étendue ».
Bien que l’arrêt prenne soin de ne pas mentionner l’adverbe « nécessairement », on ne peut s’empêcher d’y voir une résurgence de la jurisprudence du préjudice nécessaire. Après avoir précédemment rappelé de manière péremptoire le pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond quant à l’existence d’un préjudice, la Cour de cassation censure la cour d’appel qui, usant de ce pouvoir, avait précisément estimé que le salarié n’avait subi aucun préjudice.
Il y a là une apparente antinomie qui interroge sur ses causes. On a pu suggérer que la Cour de cassation pourrait décider de limiter la portée de l’abandon de la théorie du dommage nécessaire et maintenir la présomption (irréfragable) aux cas de violation les plus graves, parmi lesquels la violation d’un droit fondamental14. Même si le droit à l’emploi ne constitue pas une liberté fondamentale qui justifierait la poursuite du contrat au-delà du terme lorsque le juge requalifie en contrat à durée indéterminée un contrat qui a déjà pris fin du fait de l’arrivée de son terme15, nul doute que le salarié subit forcément un préjudice, au moins moral16, résultant de la perte injustifiée de son emploi. Il appartiendra alors au juge du fond d’en évaluer souverainement l’étendue en justifiant, dans le jugement, du montant de l’indemnité qu’il octroie.
Le maintien de la présomption de préjudice en cas de licenciement injustifié permet en outre de conserver à l’indemnité une fonction punitive que l’ordonnance du 22 septembre 2017 n’a pas entendu remettre en cause, même si elle en limite les effets. Le nouveau barème d’indemnisation17 encadre désormais la réparation en fixant un plafond18 qui s’impose au juge19 ; mais il prévoit également l’octroi au salarié injustement licencié d’une indemnité minimum qui renforce cette volonté de sanctionner le manquement de l’employeur. Cependant, le dispositif ne prévoit aucun plancher pour les salariés dont l’ancienneté est inférieure à une année. La théorie du préjudice nécessaire permettra donc de corriger la différence de traitement instituée par la « barémisation » et d’éviter qu’un salarié injustement privé de son l’emploi ne puisse obtenir une indemnisation. Sans doute, la chambre sociale a-t-elle été animée par le souci de ne pas délivrer aux employeurs un message d’impunité en cas de violation du droit de ne pas être licencié sans motif légitime20. Au demeurant, la présomption de préjudice réaffirmée (implicitement) par la chambre sociale ne devrait pas obérer l’objectif de prévisibilité et de sécurisation des relations de travail recherché par les rédacteurs de l’ordonnance : d’une part, le pouvoir d’appréciation du juge dans l’évaluation du préjudice restera limité par le plafond d’un mois fixé dans les tableaux21 ; d’autre part, l’employeur aura la possibilité d’échapper à une condamnation en précisant les motifs du licenciement22.
NOTE DE BAS DE PAGE :
1 – Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017, relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail : JO, 23 sept. 2017 ; v. Bugada A., « Les nouveautés procédurales issues des ordonnances du 22 septembre 2017 », JCP S 2017, 1319.
2 – Arrêt promu à la plus grande diffusion.
3 – S’agissant du licenciement d’un salarié ayant une ancienneté inférieure à 2 ans, le cumul des indemnités était admis par la jurisprudence.
4 – C. trav., art. L. 1235-2, dans sa rédaction antérieure à l’ordonnance n° 2017-1387 préc. ; par exception, ce régime d’indemnisation était aussi applicable aux licenciements prononcés dans une entreprise de moins de 11 salariés en cas de non-respect de la faculté d’assistance par un conseiller extérieur.
5 – Cass. soc., 13 avr. 2016, n° 14-28293 ; v. égal. Cass. soc., 7 juill. 2016, n° 15-20120.
6 – Défaut de mention, dans le bulletin de salaire, de la convention collective applicable : Cass. soc., 17 mai 2016, n° 14-21872 ; stipulation dans un contrat de travail d’une clause de non-concurrence illicite : Cass. soc., 25 mai 2016, n° 14-20578.
7 – Cette solution avait déjà été adoptée mais dans une espèce inédite : Cass. soc., 30 juin 2016, n° 15-41364.
8 – Date d'entrée en vigueur de l'ordonnance Macron précitée.
9 – Le cumul de cette indemnité avec l’indemnité pour licenciement injustifié est désormais exclu.
10 – Dans la limite imposée par le texte.
11 – Bailly P. et Boulmier D., « La fin du préjudice nécessaire met-elle en danger l’efficacité des sanctions du droit du travail ? », Dr. trav. 2017, p. 374.
12 – Florès P., « Un retour au droit commun », SSL, n° 1721, p. 12.
13 – Expression utilisée par l’ancien article L. 1235-5 du Code du travail.
14 – V. Mouly J., « Les présomptions de dommage en droit du travail : abandon ou simple refus ? », RJS 7/2016, chron. p. 491.
15 – Cass. soc., 21 sept. 2017, n° 16-20270.
16 – Asquinazi-Bailleux D., « Le préjudice moral devant le conseil de prud’hommes », Dr. soc. 2017, p. 910.
17 – C. trav., art. L. 1235-3.
18 – Déterminé au regard du critère de l’ancienneté du salarié.
19 – Sauf pour les licenciements discriminatoires, les licenciements portant atteinte à une liberté fondamentale, les licenciements liés à un harcèlement sexuel ou moral ou, plus généralement, les licenciements entachés de nullité : l’article L. 1235-3-1 écarte le plafond et prévoit une indemnité minimum égale aux six derniers mois de salaire.
20 – C. trav., art. L. 1232-2 ; Convention OIT n° 158, art. 4 et 10.
21 – Pour un salarié ayant une ancienneté inférieure à un an, le plafond est fixé à un mois, quelle que soit la taille de l’entreprise.
22 – Futur article L. 1235-2 du Code du travail qui entrera en vigueur au plus tard le 1er janvier 2018.