15 juin 15:50

La preuve du compte joint

Pour les étudiants en

L3

Article de Jérôme Lasserre Capdeville, Maître de conférences HDR à l’université de Strasbourg, à retrouver dans Les Petites affiches du 8 juin 2017 (en accès libre et gratuit via votre ENT)

La convention de compte joint ne se présume pas. Dès lors, si elle constate que l’épouse n’a pas signé de convention de compte joint, une juridiction du fond ne peut pas condamner l’intéressée à payer à la banque une somme en raison du solde débiteur d’un compte.

Droit bancaire, droit du crédit

Cass. com., 8 mars 2017, no 15-15350, F–D

Extrait :

La Cour :

(…)

Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable :

Vu l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016 ;

Attendu que la convention de compte joint ne se présume pas ;

Attendu, selon le jugement attaqué, rendu en dernier ressort, que selon une convention du 30 novembre 2006 établie au nom de M. X, qui l’a signée, la Société générale (la banque) a ouvert un compte dont le solde est devenu débiteur et qu’elle a ultérieurement dénoncé ; que la banque a assigné M. et Mme X en paiement du solde débiteur du compte ; que Mme X a conclu à l’irrecevabilité de la demande à son égard, en soutenant qu’elle n’était pas liée contractuellement avec la banque ;

Attendu que pour condamner Mme X à payer une certaine somme à la banque, le jugement retient qu’à compter de juillet 2010, l’intitulé et le fonctionnement du compte ont changé puisque les relevés ont été établis à « M. ou Mme Éric X », appellation révélatrice d’un compte joint et que la demande contre Mme X n’est pas dirigée contre elle en qualité de codébiteur solidaire, mais en qualité de cotitulaire du compte ;

Qu’en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que Mme X n’avait pas signé de convention de compte joint, la cour d’appel, qui n’a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé le texte susvisé ;

Par ces motifs, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur l’autre grief :

Casse et annule, mais seulement en ce qu’il condamne Mme X à payer à la Société générale, pour solde du compte n° 0089200050194977, la somme de 928,96 €, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2012, le jugement rendu le 10 janvier 2014, entre les parties, par le tribunal d’instance de Foix ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit jugement et, pour être fait droit, les renvoie devant le tribunal d’instance de Saint-Girons ;

(…)

1.  Un compte joint est un compte collectif ayant pour caractéristiques de conférer aux cotitulaires les mêmes droits sur les fonds inscrits en compte, et ce chacun pour le tout1. Les époux utilisent fréquemment ce type de compte2, de même que les concubins ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité. Une décision concernant ce type de compte ayant plusieurs titulaires3 a récemment attiré notre attention4.

2.  En raison d’une convention du 30 novembre 2006, établie au nom de M. X qui l’avait signée, la banque X avait ouvert un compte dont le solde était devenu débiteur. Par la suite, la banque avait assigné M. et Mme X en paiement du solde débiteur de ce compte. Or Mme X avait conclu à l’irrecevabilité de la demande à son égard, en soutenant qu’elle n’était pas liée contractuellement avec la banque.

3.  Le tribunal d’instance de Foix avait cependant condamné Mme X à payer une certaine somme à la banque, son jugement estimant qu’à compter de juillet 2010, l’intitulé et le fonctionnement du compte avaient changé puisque les relevés avaient été établis à « M. ou Mme Éric X », appellation révélatrice d’un compte joint et que la demande contre Mme X n’était pas dirigée contre elle en qualité de codébiteur solidaire, mais en qualité de cotitulaire du compte.

4.  L’intéressée avait alors formé un pourvoi en cassation. Celui-ci se révèle utile dans la mesure où la haute juridiction casse et annule le jugement précité en ce qu’il a condamné Mme X à payer à la banque la somme de 928,96 €, outre les intérêts au taux légal à compter du 20 juin 2012. Pour la Cour de cassation, en effet, « la convention de compte joint ne se présume pas ». Dès lors, en statuant ainsi, alors qu’elle avait relevé que Mme X n’avait pas signé de convention de compte joint, le tribunal d’instance de Foix n’avait pas tiré les conséquences légales de ses constatations, et avait ainsi violé l’article 1134 du Code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance du 10 février 2016.

5.  Cette solution est, selon nous, convaincante. En effet, une règle de forme est requise en matière de compte joint : une convention écrite doit être nécessairement passée par les parties. Il est vrai que la solidarité active et passive, qui caractérise un tel compte ne se présume pas5 : il convient de la prévoir6.

6.  C’est ainsi que la jurisprudence a déjà pu affirmer qu’un banquier ne pouvait prétendre qu’un compte personnel avait été tacitement transformé en compte joint7. De même, la Cour de cassation a déjà refusé à une banque le fait de prouver cette nature par la production d’un document quelle avait unilatéralement établi8. Dans l’arrêt qui nous occupe, nous voyons que cette solidarité ne saurait pas plus découler du fait que l’intitulé et le fonctionnement du compte ont changé. Il importe notamment peu que les relevés aient été par la suite établis par la banque à « M. ou Mme Éric X ». Cela ne saurait suffire à faire du compte en question un compte joint alors que la convention de compte en question n’avait été signée que par un des époux.

7.  Notons que dans cet arrêt, les magistrats de la Cour de cassation n’ont pas directement fondé leur solution sur la solidarité, mais plus simplement sur l’existence de la convention de compte joint qui ne saurait être présumée. Ainsi, en cours de relation, une banque ne peut pas transformer un compte « classique » en compte joint, sans recueillir le consentement de l’autre conjoint. À défaut, il n’y a purement et simplement pas de convention de compte joint et, partant, pas de solidarité active et passive.

 


1 – Lasserre Capdeville J. et a., Droit bancaire, 2017, nos 828 et s. ; Deschanel J.-P., « La convention de compte joint », Banque 1982, p. 1229 et s. et 1344 et s.
2 – Terré F., « Le compte joint entre époux », in Mélanges Cabrillac, 1999, Dalloz-Litec, p. 529 et s.
3 – Lasserre Capdeville J., « Les comptes ayant plusieurs titulaires », Journ. sociétés oct. 2015, n° 134, p. 26 et s.
4 – Cass. com., 8 mars 2017, n° 15-15350 : LEDB mai 2017, n° 110n6, p. 2, obs. Mathey N.
5 – C. civ., art. 1202 anc. et C. civ., art. 1310 nouv. – Il en va différemment avec la solidarité passible entre commerçants. Clément C., « Solidarité et compte bancaire », D. 2007, p. 1805, n° 1.
6 – Cass. 1re civ., 16 juin 1992, n° 90-18209 : Bull. civ. I, n° 179 ; D. 1993, Somm., p. 216, obs. Delebecque P. ; RTD civ. 1993, p. 356, obs. Mestre P.
7 – Cass. com., 9 juin 2004, n° 01-14302 : Banque et droit 2004, n° 97, p. 83, obs. Bonneau T.
8 – Cass. 1re civ., 5 juin 2008, n° 06-20434.

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