28 sep 11:47

Le robot sexuel, le viol et la pédophilie

Pour les étudiants en

L3

Un article de Xavier Labbée, professeur à l’université Lille 2 Droit et Santé, directeur du master "patrimoine culturel" au centre universitaire de Cambrai (Lille 2) et avocat au barreau de Lille

Le commerce des robots sexuels est-il respectueux de la dignité humaine ?

Il y a quelques années, la société Truecompanion a présenté à Las Vegas aux États-Unis le robot sexuel Roxxy, « 1,73 m, 54 kg, bonnet 95 C, capable de connaître les goûts de son partenaire et capable de discerner ce qui lui fait plaisir sexuellement ou non » (« Roxxxy – Poupée Robot Sexuel – True Companion », www.robotblog.fr, janv. 2010). Ce serait un « miracle d’intelligence artificielle » alors même que Georges Brassens affirmait que « pour l’amour on ne demande pas aux filles d’avoir inventé la poudre ».

Sur le plan esthétique, l’amateur peut être déçu. La physionomie de Roxxxy évoquerait celle d’une « Adjani défraîchie » (Berry. P, « Le robot sexuel pas prêt de remplacer les filles », www.20minutes.fr, 11 janv. 2010). Et les femmes robots japonaises semblent beaucoup plus belles. Mais sur le plan des performances, c’est autre chose. Roxxxy peut « avoir des orgasmes ». Son créateur l’affirme sans rire aux journalistes : « c’est une vraie compagne. Elle a une personnalité. Elle vous entend et vous écoute. Elle parle. Elle sent quand on la touche. Elle dort. Bref on a essayé de reproduire tous les traits d’une personnalité humaine ». Roxxxy est d'ailleurs vendue sous différentes versions : on peut choisir Roxxxy-Wendy « au caractère aventureux et extraverti », Roxxxy Frigid Farrah « au caractère réservé et timide », Roxxxy Martha « au charme matriarcal », Roxxxy Susa « la dominatrice » (« Roxxxy, un sex-toy de luxe », www.20minutes.fr d’après AFP, 11 janv. 2010). Et en plus, elle ne coûterait que 6 300 €. C’est peu : au vu du tarif moyen des prostituées, le robot peut-être vite amorti. Parlera-t-on de concurrence déloyale ? Verra-t-on poindre une class action menée par l’association des escort-girls ?

Mais le succès de Roxxxy a été tel que de nouveaux modèles ont dû être créés à destination d’une clientèle spécifique... Et l’on a vu arriver en juillet dernier sur la scène juridique le robot Roxxxy capable de résister à son partenaire mais qui finit, vaincu, par se faire violer, suivi du robot féminin qui semble ne pas avoir 18 ans... C’est au fond le robot « version pédophile ». Ces nouveaux modèles auraient – quand même – provoqué un tollé en Amérique et ailleurs (« Polémique sur un robot sexuel prêt à être violé », www.leparisien.fr avec AFP, 21 juill. 2017) et la société créatrice a été sommée de s’expliquer (Rozières G., « Accusée d’avoir programmé un robot sexuel pour être violé, la société Truecompanion répond à la polémique », http://www.huffingtonpost.fr, 21 juill. 2017). Mais après un tapage médiatico-publicitaire, les choses semblent en être restées là.

Les droits civil et pénal des personnes et de la famille résisteront-ils à l’intrusion d’un nouveau personnage dans le cercle familial ? Les Anglais, plus pragmatiques, ont prévu le coup et ont conçu le robot Samantha qui a un double programme : « sexy » et « famille ». La femme robot anglaise fait l’amour et la vaisselle. Gode save the queen ! (Demeure, Y., « Samatha, le robot qui dispose d’un point G », www.sciencepost.fr, 23 mars 2017)

Des associations féministes ont réagi face à l’événement sans que l’on comprenne vraiment pourquoi ce serait plus la femme que l’homme qui serait visée par l’arrivée du robot sexuel sur la scène juridique. Le robot sexuel masculin existe d’ailleurs. N’est-ce pas l’humanité toute entière qui est concernée par le problème ? Mais n’est-il pas trop tard ?

Un robot n’est qu’une chose et ne peut donc être juridiquement violé. Les pénalistes parleraient justement d’infraction impossible. Il ne faut pas mélanger le droit pénal des personnes et le droit pénal des biens. Et on pourrait se dire dans le cadre d’une politique pénale qu’il vaut mieux pour la société qu’un malade se dépense sur un robot que sur une victime véritable. Alors de quoi se plaint-on ? D’autant qu’il n’est pas interdit d’acheter un sextoy. Il y a une cinquantaine d’années, le commerce d’objets de plaisir était jugé contraire à l’ordre public et aux bonnes mœurs. Mais les choses ont à ce point changé qu’aujourd’hui ces objets ont envahi le commerce de grande distribution et bénéficient même du marquage CE. On peut acheter un sextoy à Monoprix ou chez Darty. Pourquoi ne pourrait-on acheter un robot sexuel ? On peut de toute façon acheter Roxxy par la grâce d’internet directement auprès de la société américaine qui assure la livraison (Labbée X. « Le robot mari libère la femme », Gaz. Pal. 7 mars 2017, n° 290b7, p. 13).

I.    Un tel commerce est-il respectueux de la dignité humaine ?

Le Conseil d’État, rappelant que le principe de dignité humaine est un élément de l’ordre public, a déclaré il y a une vingtaine d’années qu’on ne pouvait abaisser au rang « de projectile une personne affectée d’un handicap physique ». C’est ainsi que l’attraction « du lancer de nain » à Morsang-sur-Orge a été qualifiée d’indigne et qu’elle a été interdite – au plus grand désespoir du « nain » qui n’avait rien demandé de tel et qui a perdu son petit commerce – (CE, 27 oct. 1995, n° 136727, Morsang-sur-Orge). Il est contraire à la dignité humaine d’abaisser le corps de la personne au rang de chose... Voilà un joli principe qu’on ne peut qu’approuver.

Si l’on suit ce raisonnement, la prostitution (qui n’est pas pénalement réprimée) devrait néanmoins être qualifiée de comportement indigne tant pour le « client » que pour celui ou celle qui s’y livre... En effet, il semble indigne pour une personne de faire commerce de son corps et de l’abaisser au rang d’objet de plaisir pour autrui. Dans la suite du raisonnement, le commerce du sextoy (et partant du robot sexuel) devrait être interdit parce qu’il favorise la prostitution d’autrui.

Seulement n’est-il pas plus facile de s’en prendre au « nain de Morsang-sur-Orge » qu’au commerce de grande distribution ? « Selon que vous serez puissants ou misérables... ». Tout porte à croire que le robot sexuel Roxxy sera présenté en France dans les prochains « salons de l’érotisme » et qu’il aura du succès. Y a-t-il un salon de l’érotisme à Morsang-sur-Orge ?

II.    Un tel commerce est-il plus profondément conforme à la finalité de la règle de droit ?

La règle de droit a-t-elle pour finalité de faire régner l’amour entre les hommes ? Un tel objectif pourrait être louable. Mais d’abord qu’est-ce que l’amour ? Le commandement « aimez-vous les uns les autres » nous suggère que le mot est synonyme d’altérité. On aime « autrui ». Et la phrase : « je vous donne mon corps » inclut dans la définition la notion la gratuité. On ne peut pas aimer en payant. Seulement ces phrases ne sont pas empruntées à la règle de droit. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, qui constitue aujourd’hui la norme juridique fondamentale, ne nous parle pas d’amour. C’est au contraire un hymne à la liberté. Chacun est libre de faire ce qu’il veut dans la seule mesure où il ne nuit pas à autrui. Ne pas nuire à autrui ne veut pas dire aimer. Le mot « amour », synonyme d’altérité et de gratuité, paraît donc ignoré du langage juridique. La Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen permet à l’individu de faire ce qu’il veut de son corps, dans le cadre d’une liberté individuelle qui peut être synonyme d’égoïsme et finalement de solitude infinie. Celui qui achète une femme robot se fait plaisir... et c’est tout. Il n’est pas interdit de payer pour se faire plaisir. Et tant pis si l’on se retrouve seul au milieu des robots.La liberté n’est-elle pas l’antithèse de l’amour ? Notre société n’est-elle pas finalement condamnée ?

 

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