10 Mars 09:53

Les fichiers de police. Nature et conséquences juridiques

Pour les étudiants en

L3

Un article de Yannick Martiquet, docteur en droit public à l'université de Nîmes, à lire dans les Petites affiches du 2 mars (en accès libre et gratuit via votre ENT)

L’utilisation de fichiers de collecte de données par les services de police soulève de multiples interrogations juridiques. Ces fichiers constituent, au sens de la loi du 6 janvier 1978, des traitements automatisés de données personnelles et font l’objet d’une réglementation spécifique. Toutefois, leur nature juridique peut être qualifiée d’insaisissable. Entre actes préparatoires et mesures d’ordre intérieur, les fichiers ne sont pas des actes faisant grief mais ils ne sont pas non plus dénués d’effets. L’instauration de l’état d’urgence a modifié le cadre juridique de l’utilisation des fichiers de police. Ainsi, se fondant sur les informations qu’ils contiennent, les services de police peuvent mettre en œuvre des mesures nécessitant, en période normale, l’intervention du juge pénal. Entre protection de l’ordre public et atteinte aux libertés fondamentales, les fichiers de police révèlent les complexités de l’équilibre du système judiciaire français.

Droit des libertés fondamentales

L’Administration, par l’ensemble de ses services publics, encadre la collectivité nationale. Dans une société laissant une place de plus en plus importante à la technique, la prise de décision ne peut s’effectuer sans que les autorités publiques ne collectent des informations sur les différents aspects de la vie des citoyens pour assurer à la fois son propre fonctionnement et ses relations avec son environnement. Outre la crainte orwellienne de l’émergence d’un « big brother », tant cette opération de collecte d’informations figure un pouvoir camouflé, l’action administrative se traduit matériellement par une pratique abondante de création de fichiers dont la nature et les finalités sont extrêmement diverses (Fichier national des interdits de gérer ; PREVENTEL : Base de prévention des impayés ; Fichier national des interdits de stade…).

Les fichiers de police constituent une catégorie à part entière des fichiers administratifs. Leur spécificité tient à leur finalité qui est celle de participer au maintien de l’ordre public et qui les situe à la frontière de la répression et de la prévention. En effet, chargés de collecter des données pour prévenir des atteintes à l’ordre public, ces fichiers peuvent être la source de l’action répressive de l’État. Cette dualité dans la finalité des fichiers de police a fait une entrée malheureuse dans l’actualité nationale à la suite de la série d’attentats perpétrés au cours de l’année 2015. Leur contenu a permis une réaction rapide dans la recherche des auteurs en facilitant ainsi l’action répressive mais elles ont entraîné un débat sur la capacité de l’autorité publique à les utiliser de façon préventive.

Ainsi, le grand public a pris connaissance de l’existence des fiches « S ». Le battage médiatique a été particulièrement intense sans qu’on puisse finalement établir que les fichiers de police soient mieux connus. D’une part, leur nombre pourrait surprendre l’opinion publique puisque, selon un rapport officiel de 2011, on peut recenser pas moins de quatre-vingt fichiers1. D’autre part, leur finalité est surtout mal perçue. Concernant l’exemple des fiches « S », il s’agit en réalité d’une catégorie du Fichier des personnes recherchées (FPR) pour « atteinte à la sûreté de l’État ». Cette catégorie créée en 1969 permet de recenser des informations sur des personnes « faisant l’objet de recherches pour prévenir des menaces graves pour la sécurité publique ou la sûreté de l’État, dès lors que des informations ou des indices réels ont été recueillis à leur égard »2. Au regard du dispositif réglementaire, la fiche « S » peut être établie contre toutes formes de menaces. Elle ne se limite pas aux seules menaces terroristes. Un manifestant altermondialiste, antinucléaire ou zadiste peut faire l’objet d’une fiche S. Les fiches « S » sont classées en 16 catégories (de S1 à S16) en fonction des actions que les forces de police doivent entreprendre. Lorsqu’un individu fait l’objet d’une fiche « S », cela signifie que son comportement a fait naître une suspicion de menace pour la sûreté de l’État sans que celui-ci ne soit nécessairement avéré et certain. Pour ces raisons, le placement dans le fichier « S » n’a pas de caractère définitif et n’impose nullement une surveillance permanente. L’établissement des fiches « S » répond à un objectif plus modeste d’alerte et de recueil d’informations pour conditionner l’action des forces de police. En l’état normal de la légalité, le classement dans un fichier ne peut entraîner l’arrestation ou des restrictions majeures aux libertés d’un individu.

Avec l’instauration de l’état d’urgence, le classement dans un fichier de police, comme l’ensemble de l’activité de police, est sorti des contours de la légalité classique. Sur leur base, l’autorité de police peut mettre en œuvre un ensemble de mesures qui nécessitent normalement l’intervention du juge pénal : perquisition, surveillance électronique, assignation à résidence. Sans que l’on se félicite ou que l’on regrette cette situation, l’élargissement, même indirect, des effets des fichiers de police conduit à s’interroger sur le régime juridique de ces actes de l’Administration. Or, si les conséquences sont plus facilement identifiables, la nature juridique des fichiers de police apparaît plus complexe à cerner.

I – La nature juridique complexe des fichiers de police

Les fichiers de police mettent au défi la notion d’acte administratif. Constituant une forme particulière d’acte administratif non rattachable à une catégorie générale d’acte administratif, les fichiers de police apparaissent avec (seule) certitude comme un acte de traitement automatisé de données.

A – Le fichier de police : un traitement automatisé de données personnelles

Les fichiers de police constituent des outils de traitement de données utilisés dans le cadre d’opération de maintien de l’ordre. Ils relèvent du champ d’application de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés3 dans la mesure où ils correspondent parfaitement à la définition des traitements automatisés de données reconnus à l’article 2 de la loi : « toute opération ou tout ensemble d’opérations portant sur de telles données, quel que soit le procédé utilisé, et notamment la collecte, l’enregistrement, l’organisation, la conservation, l’adaptation ou la modification, l’extraction, la consultation, l’utilisation, la communication par transmission, diffusion ou toute autre forme de mise à disposition, le rapprochement ou l’interconnexion, ainsi que le verrouillage, l’effacement ou la destruction. »

Ainsi, bien que leur création dépende d’acte réglementaire, les fichiers de police sont soumis aux exigences de la loi du 6 janvier 1978 et font l’objet d’un contrôle préalable par la Commission nationale informatique et liberté (Cnil). Cette intervention de la Cnil constitue donc une obligation légale qui se traduit par la formulation d’un avis motivé et publié par la Cnil sur l’ensemble des projets de création des fichiers4. Toutefois, les pouvoirs de cette autorité administrative indépendante ne se limitent pas au moment de la création, ils peuvent aussi se manifester en matière de gestion des fichiers. Ainsi, à titre d’exemple, la Cnil a adressé une mise en demeure à l’encontre du ministre de l’Intérieur et du ministre de la Justice pour non-respect des délais dans le traitement des demandes d’accès indirect au Traitement d’antécédents judiciaires5.

B – Le fichier de police : une nature juridique insaisissable

Les fichiers de police constituent-ils des décisions administratives faisant grief, des actes de police ou au contraire des mesures d’ordre intérieur ? L’indétermination de la nature juridique des fichiers de police procède de la diversité des instruments existants mais surtout de leur caractère accessoire dans l’activité administrative. En effet, le fichier de police, comme tout fichier, offre une ressource à l’activité administrative dans son activité normative. Le fichier implique une utilisation qui peut en révéler sa capacité normative et sa contestabilité.

1 – Une contestabilité à géométrie variable

Il existe différentes manières de classer les actes de l’Administration. Toutefois, traditionnellement, on distingue principalement les actes en fonction de leur contestabilité.

Plusieurs catégories peuvent être évoquées ici. Si aucune catégorie ne semble correspondre évidemment aux fichiers de police, ils partagent d’importantes similitudes avec certaines. On peut penser principalement aux mesures préparatoires. Définis comme des actes participant au processus d’édiction d’une décision hypothétique, les mesures préparatoires ne sont pas, par nature, des actes faisant grief. Leurs effets sont généralement modérés et ils ne modifient pas de manière notable l’ordonnancement juridique. Ces actes permettent des réunir les conditions d’un acte ultérieur6.

Les fichiers de police peuvent, en un sens, se rapprocher des actes préparatoires. En principe, ils ne font pas grief puisqu’ils n’impliquent qu’une identification, pouvant conduire à une surveillance des individus. Le fichier en lui-même, comme la décision de placement au sein d’un fichier, ne sont pas, par nature, des actes faisant grief. Toutefois, ils peuvent intervenir dans l’élaboration d’une mesure ultérieure. Les données rassemblées sur des individus peuvent conduire à des décisions ou des sanctions. La ministre de l’Éducation nationale a par exemple indiqué, le 25 août 20167, que plusieurs enseignants avaient été suspendus et que des procédures disciplinaires avaient été engagées au motif que ces agents faisaient l’objet d’une fiche « S ».

Si la sanction ne concerne pas l’ensemble des personnes faisant l’objet d’un tel placement au sein d’un fichier de police, il est possible de considérer que la décision de placement au sein d’un fichier de police est un acte préparatoire. Toutefois, le caractère automatique de la sanction peut modifier la nature juridique des fichiers de police. Si l’on considère que l’ensemble des enseignants qui font l’objet d’une fiche S doivent être suspendus, les caractères du fichier peuvent changer. Dans ce cas, le fait d’être présent au sein d’un fichier est générateur d’une modification évidente de l’ordonnancement juridique.

Toutefois, les fichiers de police ne partagent pas l’ensemble des conséquences d’une mesure préparatoire. Un fichier de police n’a pas nécessairement vocation à préparer un acte ultérieur. La décision de placement dans un fichier permet d’effectuer une surveillance d’un individu. Il n’est pas question, au moment de la création d’une fiche, de préparer des poursuites mais uniquement de récolter des informations ou d’informer des agents sur des actes qu’auraient commis certains individus. Aussi, comparer le fichier de police à une mesure préparatoire génère des incertitudes, dans la mesure où les fichiers de police demeurent des pré-actes juridiques potentiels.

2 – Une mesure de police à double facette

Le fichier de police participe pleinement aux activités de police visant le maintien de l’ordre public. Toutefois, on peut s’interroger sur leur rattachement précis à la police administrative ou à la police judiciaire. La réponse n’est pas évidente et met à mal la frontière classique entre les deux polices fixée par la jurisprudence Consorts Baud8 et Dame Noualeck9.

Cette incertitude tient essentiellement au fait que les fichiers de police peuvent être considérés comme des actes de prévention utilisés pour accompagner la répression des infractions ou comme des actes de répression s’inscrivant dans une démarche de prévention de la commission d’infraction pénale. Ces deux facettes pouvant s’illustrer en fonction des circonstances d’utilisation des fichiers. Mais la dualité figure essentiellement une opération de recueillement d’informations à la frontière des polices administrative et judiciaire.

Cette double nature des fichiers de police est consubstantielle à leur régime juridique. En effet, les fichiers de police sont régis par la loi LOPPSI II10 dont les dispositions sont intégrées dans le Code de procédure pénale. L’article 230-6 du code autorise ainsi les services de police à recueillir des données « [a]fin de faciliter la constatation des infractions à la loi pénale, le rassemblement des preuves de ces infractions et la recherche de leurs auteurs ». Ajoutons à cela que le Code de procédure pénale précise les informations que peuvent contenir ces fichiers ainsi que les personnes habilitées à les consulter. L’utilisation de ces fichiers peut être assortie de la mise en œuvre de logiciels de rapprochement judiciaires sous le contrôle de l’autorité judiciaire (CPP, art. 230-20). En conséquence, malgré un rattachement du régime des fichiers au Code de procédure pénale, cette situation n’emporte pas nécessairement un rattachement aux activités de police judiciaire. Leur utilisation peut être le support de mesures de police judiciaire (fourniture de preuve, aide à l’arrestation) comme de police administrative (acte de surveillance).

En conclusion, la nature juridique des fichiers de police est incertaine dès lors que l’on tente de les intégrer dans des catégories juridiques existantes. À ce titre, il est peut-être nécessaire d’en faire une catégorie à part entière, ne ressemblant à nulle autre, dans la théorie des actes administratifs, dont la finalité particulière (la collecte d’informations) et les effets juridiques sont suffisants pour les caractériser.

II – Les indubitables effets des fichiers de police

Les effets des fichiers de police sont nombreux et facilement identifiables, puisqu’ils peuvent être la source de mesures préventive et répressive des atteintes à l’ordre public. Or, comme les mesures de police qui y trouvent leur origine, les fichiers de police sont une nouvelle fois l’occasion de débattre sur la conciliation de la nécessité d’assurer l’ordre et la sécurité et le respect des libertés fondamentales des individus.

A – Les conséquences matérielles des fichiers de police

Nonobstant les difficultés d’identification des conséquences juridiques de l’enregistrement d’une personne au sein d’un fichier de police, il est possible d’identifier des conséquences matérielles.

En période normale, le placement au sein d’un fichier est une mesure qui peut ne pas être perceptible puisqu’il s’agit uniquement d’un recueil de données. On peut tout de même identifier, a minima, le contrôle accru dont peuvent être l’objet les personnes placées au sein d’un fichier. La pratique des fichiers de police conduit à un recueil de données quasi-systématique sur des personnes au motif qu’elles peuvent entretenir des liens avec des organisations ou des personnes mettant en jeu la sûreté de l’État (concernant les fiches S). Éthiquement, il convient de s’interroger sur le degré de lien qui devient suffisamment déterminant pour faire l’objet d’une fiche. Il est utile de rappeler que l’ouverture d’une fiche s’effectue dans le cadre de soupçons pesant sur une personne et non sur des faits établis qu’elle aurait commis. La limite de ce système est atteinte dès lors qu’il est techniquement possible de recueillir des informations sur toute personne dès qu’un motif valable est identifié.

En période d’état d’urgence, les conséquences matérielles de l’ouverture d’une fiche, et notamment d’une fiche S, sont plus aisément identifiables. L’état d’urgence permet de prendre des mesures restrictives de libertés fondées sur des soupçons. Dans ce cas très particulier, les conséquences du placement au sein d’un fichier de police dépassent largement le simple contrôle accru dont pourrait faire l’objet un individu. Il est question de perquisitions administratives qui portent atteinte au droit de propriété ainsi que d’assignations à résidence qui limitent la liberté d’aller et venir et de surveillance électronique qui remet en cause le droit au respect de la vie privée. Or, l’ensemble de ces mesures qui peuvent être prononcées par l’autorité de police, dont il faut espérer qu’elles ne survivront pas à l’état d’urgence, offre un rôle essentiel aux fichiers. En effet, comme le rappelle l’assemblée générale du Conseil d’État, saisi au titre de sa fonction consultative, dans un avis du 17 décembre 201511, l’utilisation des prérogatives offertes à l’autorité préfectorale par l’instauration de l’état d’urgence n’est pas soustraite de contrôle juridictionnel, l’autorité devant démontrer à ce titre au juge administratif que la mesure est justifiée. L’autorité doit ainsi apporter la preuve de la dangerosité que représentent les individus concernés à la sécurité nationale. De ce fait, le fichage des individus constitue non seulement le moyen de recueillir préalablement des preuves de dangerosité mais d’indiquer à l’autorité les individus qui doivent faire l’objet d’une attention particulière. Les fichiers permettent alors de conduire et de justifier l’action publique.

B – La difficile conciliation entre la protection des libertés et la nécessité d’assurer l’ordre

En tant que mesure de police, les fichiers sont susceptibles de porter atteinte à des droits et libertés fondamentaux. Sans dresser un inventaire à la Prévert, les fichiers de police peuvent être la source d’une atteinte au droit au respect de la vie privée, du droit de propriété, voire du droit à la sûreté personnelle. Toutefois, sans que le but du maintien de l’ordre public soit suffisant pour justifier les restrictions potentielles aux libertés, le respect des droits fondamentaux est assuré par un ensemble de garanties légales et juridictionnelles.

Au titre des garanties légales, la création de l’ensemble des fichiers nécessite la définition d’un régime strict dans lequel est défini l’objet des fichiers, les informations susceptibles d’être recueillies, les personnes habilitées à les renseigner et à les consulter. Cette garantie juridique est essentielle car elle permet de sortir les fichiers de police de la clandestinité et de la dissimulation qui sont la marque des grands scandales dans une démocratie (v. le scandale des fiches en 1905 celui des écoutes illégales dans les années 1980 ou dernièrement l’affaire WikiLeaks).

Au titre des garanties juridictionnelles, les fichiers de police peuvent faire l’objet à plusieurs égards de contrôle juridictionnel visant à examiner la conformité du fichage aux libertés fondamentales. Ce contrôle peut alors s’effectuer à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le contrôle peut être exercé par le juge constitutionnel dans le cadre de l’examen des lois qui autorise le recueil des données personnelles dans un but de maintien de l’ordre public. Cette situation n’a conduit à l’heure actuelle qu’à une seule décision du Conseil constitutionnel qui dans une décision portant sur la loi sur le renseignement a estimé que la surveillance des individus ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée12.

La Cour européenne des droits de l’Homme s’est en outre prononcé sur la conformité de ce type de fichier aux stipulations du traité. La Cour retient plusieurs critères de conciliation de la protection de la vie privée et de la nécessité du recours à ces fichiers : l’existence de garanties internes, la durée de conservation des données, l’existence d’un contrôle indépendant de la justification du maintien des données13.

Pour autant la marge est étroite puisque la généralisation des fichiers de police prévue par les projets de loi qui ont fait suite aux attentats du 13 novembre 2015 peut entraîner des atteintes aux droits fondamentaux si elle n’est pas accompagnée des garanties légales nécessaires. La jurisprudence de la CEDH a établi des conditions de conformité des fichiers de police à la Convention. L’utilisation des fichiers doit s’accompagner de garanties légales. Cette utilisation, ainsi que l’inscription au sein d’un fichier, doit être proportionnée. Il doit aussi exister des moyens de recours afin d’obtenir l’effacement des données.

La CEDH a également considéré que l’inscription au FIJAIS (Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles et violentes) ne constituait pas une peine14. La CEDH a ainsi considéré que la loi Perben II15 était conforme à l’article 7 de la Convention relatif à l’interdiction de l’application de peines non prévues par les textes : « Nul ne peut être condamné pour une action ou une omission qui, au moment où elle a été commise, ne constituait pas une infraction d’après le droit national ou international ».

La question de la légalité des fichiers de police s’est posée devant le Conseil d’État16 concernant notamment le TAJ (Traitement des antécédents judiciaires). La haute juridiction a considéré que l’inscription au sein du fichier ne portait pas d’atteinte excessive à la présomption d’innocence ou au respect de la vie privée. Les atteintes à ces droits fondamentaux s’apprécient au regard des finalités poursuivies par les fichiers de police. Le type de données conservées (en l’occurrence, des photographies), les durées de conservation ainsi que la détermination des personnes habilitées à consulter les fichiers sont des éléments permettant d’apprécier la légalité et la conventionalité des procédures. Le Conseil d’État a considéré, dans le cas du TAJ, que les garanties légales et réglementaires étaient suffisantes pour permettre la conciliation entre l’objectif de préservation de l’ordre public et la protection des droits fondamentaux.

En conclusion, l’utilisation de fichiers au sein des activités de police interroge quant à l’encadrement des évolutions technologiques. L’avènement d’une « société de la communication »17 génère de nouvelles problématiques juridiques. La création des fichiers de police permet d’atteindre des objectifs en matière de protection, de sûreté et de sécurité mais peut également porter atteinte à des droits et libertés fondamentaux tels que le droit à la vie privée ou la présomption d’innocence. Le rôle de la norme juridique est d’encadrer ces mutations de la société afin de garantir la protection des droits fondamentaux tout en permettant de préserver l’ordre public.

 


NOTES DE BAS DE PAGE

1 – Batho, Bénisti, rapport d’information n° 4113 sur la mise en œuvre des conclusions de la mission d’information sur les fichiers de police, Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République, Assemblée nationale, 2011.
2 – D. n° 2010-569, 28 mai 2010, relatif au fichier des personnes recherchées : JO, 30 mai 2010, p. 9765.
3 – JO du 7 janvier 1978, modifiée par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel, JO du 7 août 2004.
4 – L. n° 78-17, 6 janv. 1978, art. 11, 4 ; voir aussi CE, 1re ss-sect., 2 déc. 2009, n° 314718, association AC !.
5 – Décision de la présidente n° 2015-005 mise en demeure publique ministère Intérieur et Justice.
6 – v. par exemple CE, sect., 25 juin 1993, n° 116742, Sté Télé Free-Dom : Lebon, p. 182 – CE, 5 déc. 2001, n° 231976, Sté Capma-Capmi : RFDA 2002, p. 183.
7 – Entretien sur Europe 1.
8 – CE, sect., 11 mai 1951, Consorts Baud : Lebon, p. 265.
9 – T. confl., 7 juin 1951, Dame Noualek : Rec., p. 636.
10 – Loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure.
11 – CE, 17 déc. 2015, n° 390867.
12 – Cons. const., 23 juill. 2015, n° 2015-713 DC.
13 – v. not. CEDH, 25 févr. 1997, n° 22009/93, Z c/ Finlande : RSC 1998, p. 387, obs. Koering-Joulin R. – CEDH, gde ch., 4 déc. 2008, nos 30562/04 et 30566/04, S. et Marper c/ Royaume-Uni : RSC 2009, p. 182, obs. Marguénaud J.-P. – CEDH, 18 sept. 2014, n° 21010/10, Brunet c/ France : Rev. pénitentiaire 2014, p. 915, obs. Bottou A. ; ibid. p. 915, obs. Barthuel A. V. aussi Pradel J., Procédure pénale, 18e éd., 2015, Cujas, p. 415.
14 – CEDH, 17 déc. 2009, n° 5335/06 ; 16428/05 et 22115/06, B., G., M. B. c/ France.
15 – Loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité.
16 – CE, 11 avr. 2014, n° 360759, Ligue des droits de l’homme : AJDA 2014, p. 823.
17 – Wiener N., Cybernétique et société (The Human Use of Human Beings), traduction de Pierre-Yves Mistoulon, 1954, Paris, éd. UGE 10/18.

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