10 jan 17:53

Arrêt du CE du 5 janvier 2018 : traitements administrés à une enfant

Pour les étudiants en

L2

Libertés fondamentales

L’essentiel : 

Le Conseil d’État s'est prononcé le 5 janvier 2018 sur une décision médicale d’arrêter les traitements administrés à une enfant se trouvant dans un état végétatif persistant.

 

 

Les faits : 

Le 22 juin 2017, une adolescente de 14 ans (née le 11 janvier 2003), souffrant d’une myasthénie auto-immune sévère, a été trouvée inanimée à son domicile à la suite d’un arrêt cardio-respiratoire. Elle a été prise en charge en urgence et transférée au centre hospitalier régional universitaire (CHRU) de Nancy. Après avoir réalisé des examens approfondis, l’équipe médicale a constaté un état neurologique très défavorable avec de nombreuses et graves lésions cérébrales.

 

Procédure : 

● Dans ces conditions, le médecin responsable du service d’anesthésie-réanimation pédiatrique du CHRU de Nancy, après avoir recherché en vain un consensus avec les parents sur l’arrêt des soins, a décidé d’engager, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, la procédure d’arrêt de traitement prévue à l’article L. 1110-5-1 du code de la santé publique (CSP) issu de la loi du 2 février 2016 dite loi Claeys-Léonetti, lorsque ces traitements « apparaissent inutiles, disproportionnés et n’ont d’autre effet que le seul maintien artificiel de la vie ». 

● 21 juillet 2017 : après une réunion collégiale, le médecin responsable du service d’anesthésie-réanimation pédiatrique du CHRU de Nancy a décidé de l’arrêt de la ventilation mécanique et l’extubation de l’enfant, en raison du caractère sévère des lésions neurologiques et de l’état végétatif constatés et de l’absence de possibilités d’amélioration ou de guérison.

● Devant cette décision, les parents ont saisi le juge des référés du tribunal administratif de Nancy, sur le fondement de l’article L. 521-2 du code de justice administrative (CJA), afin que soit ordonnée en urgence la suspension de l’exécution de la décision du 21 juillet 2017, estimant qu’une atteinte grave a été portée au droit au respect de la vie de leur enfant.

● Par une ordonnance rendue le 7 décembre 2017 : le juge des référés du tribunal administratif de Nancy a rejeté la demande des parents de l’enfant, après avoir ordonné une expertise, confiée à trois médecins. 

● Les parents ont fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État.

 

Que retenir de cette décision collégiale ? 

Le juge des référés du Conseil d’État rappelle tout d’abord que selon les termes de la loi et son interprétation par le Conseil constitutionnel : 

1/ Il appartient au médecin en charge d’un patient, lorsque ce patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, de prendre la décision d’arrêter ou de ne pas mettre en œuvre, au titre du refus de l’obstination déraisonnable, les traitements qui apparaissent inutiles, disproportionnés ou sans autre effet que le seul maintien artificiel de la vie.

=> En l'espèce, selon le rapport des trois médecins experts rendu à la demande du tribunal administratif de Nancy, le pronostic neurologique de l’enfant est « catastrophique » et qu’elle se trouve dans un état végétatif persistant, incapable de communiquer avec son entourage, le caractère irréversible des lésions neurologiques étant certain dans l’état actuel de la science.

2/ Lorsque le patient est mineur, le médecin doit rechercher si sa volonté a pu trouver à s’exprimer antérieurement et doit s’efforcer, en y attachant une attention particulière, de parvenir à un accord sur la décision à prendre avec ses parents ou son représentant légal, titulaires de l’autorité parentale, sans que l’accord des parents ne constitue toutefois un préalable indispensable.

=> En l'espèce, il est impossible de déterminer quelle aurait été la volonté de l’enfant et relève que les parents de l’enfant s’opposent à l’arrêt des soins.

3/ Pour apprécier si les conditions d’un arrêt des traitements de suppléance des fonctions vitales sont réunies, le médecin doit se fonder sur un ensemble d’éléments médicaux et non médicaux propres à chaque situation, couvrant une période suffisamment longue et portant notamment sur l’état actuel du patient, sur l’évolution de son état depuis la survenance de l’accident ou de la maladie, sur sa souffrance et sur le pronostic clinique.

 

4/ Il appartient au médecin compétent d’apprécier si et dans quel délai la décision d’arrêt de traitement doit être exécutée compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce. En outre, la mise en œuvre de cette décision imposera en tout état de cause à l’hôpital de prendre les mesures nécessaires pour sauvegarder la dignité de la patiente et de lui dispenser les soins palliatifs nécessaires.

 

En conséquence, au vu de l’état irréversible de perte d’autonomie de l’enfant qui la rend tributaire de moyens de suppléance de ses fonctions vitales et en l’absence de contestation sérieuse tant de l’analyse médicale des services du CHRU de Nancy que des conclusions du rapport du collège d’experts mandaté par le tribunal administratif, il juge qu’en l’état de la science médicale, la poursuite des traitements est susceptible de caractériser une obstination déraisonnable, au sens des dispositions de l’article L. 1110-5-1 du CSP.
La décision du 21 juillet 2017 d’interrompre la ventilation mécanique et de procéder à l’extubation de l’enfant répond aux exigences fixées par la loi et ne porte donc pas une atteinte grave et manifestement illégale au respect d’une liberté fondamentale. Le juge des référés du Conseil d’État rejette donc l’appel des parents contre l’ordonnance du juge des référés du tribunal de Nancy.

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